Le moujik de Chagall, qui s'avance parmi les fleurs, a-t-il en tête la cité idéale ? Ou bien s'apprête-t-il à briser la machinerie des palais ? Ainsi Rawls, qui propose l'utopie réaliste d'une société ordonnée selon la justice, apparaît-il, d'abord, comme le messager du monde d'en haut. Qui nous enseigne comment celui-ci s'édifie dans la pensée et subsiste dans l'idée. Mais la justice n'est pas un idéal : c'est un impératif. L'idée de justice comprend l'exigence de son instauration dans un monde injuste. Rawls, donc, au regard des principes qu'il énonce et de la pratique politique qu'il légitime, est un penseur subversif. Qui, pourtant, se méconnaît. Et faiblit devant les conclusions qu'il devrait tirer des prémisses qui sont les siennes. Au point que sa pensée se trouve communément sollicitée et mobilisée au service de l'ordre établi. Force est donc de montrer, point par point, que ses concepts ont d'autres implications que celles qu'il leur prête, et sont appropriés à d'autres perspectives que celles qu'il envisage. Et que l'on peut, avec lui et grâce à lui, penser au-delà de lui et contre lui. On trouvera ici un exposé ordonné de sa théorie de la justice, doublé d'une critique interne, qui est aussi une réception. L'objet ultime de ce livre n'est pas de proposer une alternative à la construction rawlsienne, mais de tirer de celle-ci quelques matériaux conceptuels pouvant servir à une telle entreprise.
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