Comme on menait « Gégé » au Nouveau-Cirque, Jacques Taillard avait dit qu’on commençât à dîner sans lui, tandis qu’il s’habillerait.
— Naturellement ! — s’était récriée Mme Taillard, en passant à table avec Gégé.
Et il n’en avait pas fallu plus pour que celui-ci se sentît envahi par les plus noirs pressentiments.
Non pas que, d’ordinaire, Roger Taillard en fût encore à s’alarmer d’une dispute éventuelle entre son père et sa mère. Malgré ses onze ans et demi, depuis le temps qu’il assistait à leurs querelles presque quotidiennes, il avait fini par n’y plus prendre garde. Il s’y était habitué peu à peu, comme on se fait graduellement aux obligations domestiques, aux charges de famille. Elles lui causaient toujours un profond ennui. Elles ne lui inspiraient plus jamais ni réflexion, ni curiosité, ni crainte.
Mais, les soirs où on le conduisait au théâtre, ce détachement coutumier l’abandonnait soudain. Du coup, Gégé devenait comme un loup de mer sur le point d’embarquer. Les moindres indices d’orage le bouleversaient. Il savait combien deux époux qui tiennent une bonne dispute ont peine à lâcher prise. Et il redoutait sans cesse qu’au dernier moment une scène engagée mal à propos ne vînt compromettre le départ ou ne le fît ajourner à une date indéterminée. Cette catastrophe s’était déjà produite l’année précédente, une fois qu’on devait le mener au Châtelet. Crève-cœur qui marque dans une vie d’enfant et qui ne s’oublie pas de sitôt !
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